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23 mars 1982

J164 - Delhi, les adieux


Méditation sans succès ces deux derniers jours. 

Rush pour le paquet à confectionner, puis dépôt au General Post Office.
Adieu à C. puis malaise de l’attente du départ.

Train à 20h20 pour elle qui retrouve son collègue de bureau, à 21h30 pour moi.  

Ciao A. Il faut mettre les voiles, et chacun est son propre navigateur.

Pas de place dans le compartiment réservé, il me faut donc entrer dans les wagons à bestiaux.
Je me coince quelque part, du côté de toilettes, contre la porte qui donne sur la voie.
Assis par terre contre mon sac à dos, il me faudra dégager à toutes les stations, ce qui devient pénible quand la somnolence gagne au bout de quelques heures.
Peu à peu la densité diminue, et je finis à moitié allongé sur une banquette en bois.

_____________________La carte de la journée_____________________

22 mars 1982

J163 - Delhi, jour 12 : faux départ


Toujours pas parti malgré des adieux matinaux.
Je ne trouve pas de tissu pour mon paquet vers la France et mon train est à 17 h !
Joie de se retrouver. Son visage illuminé.
Fatigue dans la soirée, le sommeil me sépare d’elle.


20 mars 1982

J161 - Delhi, jour 10


Journée passée avec A. à Delhi.
Librairies.
Film, « A romantic english woman ».
Déjeuner et achats autour de Janpath.

19 mars 1982

18 mars 1982

J159 : Delhi, jour 8


La Kundalini hiberne définitivement.

L'après-midi, balade dans Lodi Garden. Il y a comme des poussières d’argent dans le ciel.


17 mars 1982

J158 - Delhi, jour 7


A 14h, je ne suis toujours pas parti.
Retour d’A.
16h : départ, et visite seul du Zoological Garden (bébé rhino noir, tigres blancs) et de Pragati Maidan avec cette triennale d’art international et contemporain.


16 mars 1982

J157 - Delhi, jour 6


Méditation des plus médiocres.
Départ tard pour l'ambassade du Népal où j’obtiens mon visa.

Visite du National Museum of Natural History.

Vers 15h30, tempête qui couvre le ciel. Du vent et de l'eau. Pas mal.

15 mars 1982

J156 - Delhi, jour 5


Parti en ville assez tard après une méditation.
Sentiment de m’expandre en me diluant.

Ambassade du Népal puis Connaught Place.

Déjeuner dans ce resto de Jan Path, vadrouille autour du Tourism Office.


14 mars 1982

J155 - Delhi, jour 4


Seconde journée de stage.
Fantastique intervention de Samatananda (après celle de Prajnananda) sur le self : transformer une pensée négative en son positif.
Si on est sûr de l’effet, qu'en est-il du respect de l’intégrité de l’esprit critique ? Question soulevée par les prérogatives de l’ego, mais pourquoi virer au "tout le monde il est beau" ?
La pensée positive n’exclurait cependant pas la critique mais plutôt l’habitude mentale.

Méditation nerveuse après les deux cafés du déjeuner. Je sens seulement le ventre.

L'après-midi: intervention d’un indien qui témoigne de son expérience personnelle.
Bon contrôle de la pensée, mais encore trop de volonté de voir, de sentir. Calme prometteur, cependant le temps passe très vite.

Dîner avec A. et C. dans un boui-boui.



13 mars 1982

J154 - Delhi, jour 3


Réveil et départ pour le stage de méditation de Siddha Yoga.
Allocution de Gopalananda, le swami noir.
Chants lors des breaks entre deux allocutions.
Méditation avec cette sensation évanescente de gonfler. 

Délicieux buffet pour le déjeuner.

Malti Shetty (note : Swami Chidvilasananda, devenue l'actuel guru) anime la "sharing session".
Nityananda (note : son frère) une causerie sur le self.

L'après-midi, méditation avec gonflements immenses de la respiration, présence partout en tout.
Kundalini et énergie : retour à pied tellement j'ai la pêche.

Rapports un peu tendus avec A., au dur scepticisme bien négatif à l'égard de tout ce mysticisme.


12 mars 1982

J153 - Delhi, jour 2


Chacun de son côté, nous vaquons à nos occupations.

Tourisme Office.
Photos d'identité.
Billets d’avion et gare routière.

Soirée sans souvenirs marquants.

11 mars 1982

J152 - retrouvailles à Delhi


Nuit dans le bus.
Rencontre de disciples de Rajneesh croisés à Pushkar.

Arrivée au matin à Delhi.
Dépôt de mes affaires à la consigne puis matinée à l’hôtel Claridges.
Inscription au stage de Siddha Yoga.

Téléphone pour joindre A. que je retrouve à 21h avec quatre de ses copains et six lettres de la famille.


03 décembre 1981

J054 - Taj Express pour Agra, Red Fort

A 7h05, le Taj Express commence à glisser ses boogies sur l'acier des rails.
Voyage rapide et sans histoire.

Arrivée au Tourist Rest House, repaire de routards français.

Dans l'après-midi, je craque pour une petite collection de pierres. 100 F.
Elle en vaudrait la moitié ?


Malachite, oeil de chat, diopside étoilée, grenat

Je fais la rencontre de Gaurang, un indien. Nous prévoyions de nous revoir à Bombay.


Le Red Fort d'Agra

Enorme et impressionnant.
Les escaliers et couloirs tortueux du palais de Jahangir.


Jahangir Palace, Red Fort, Agra

La petite place du Kas Mahal avec ses deux petits pavillons flanquant le bâtiment central, tout de marbre blanc, avec une superbe perspective sur le Taj.


Kas Mahal, Pavillon sud, au fond le Taj Mahal, Red Fort, Agra

Musamman Burj, délicate tour octogonale, petit kiosque qui fut le cachot de ce pauvre Shah Jahan.


Macchi Bawan cachant Musamman Burj, au fond le Taj Mahal, Red Fort, Agra
Musamman Burj à gauche, Khas Mahal au centre, Red Fort, Agra

Diwan I Khas, la terrasse pourvue de deux trônes aux couleurs manichéennes, blanc et noir.

Retour par la Jama Masjid qui fait face au fort de grès rouge, avec sa grande cour dallée et son mur devant lequel se prosternent les fidèles.


Jama Masjid, Kinari Bazar, Agra

Errance en rickshaw

Le rickshaw m'emmène ensuite dans le magasin d'Etat, détenteur du "second Taj" : une maquette coûteuse de marbre blanc. Puis va toucher son bakchich dans deux magasins privés où il me déconseille formellement d'acheter quoi que ce soit.
Du coup, je rate le coucher du soleil sur le Taj.

De retour à l'hôtel, discussion qui se prolonge avec deux mineurs et un autre français sur les méfaits des indiens.

_____________________La carte de la journée_____________________

02 décembre 1981

J053 - Delhi : National Museum, Indian International Trade Fair

Comme prévu, je passe chercher mon argent à la Bank of America, après être allé vérifier une dernière fois que l'American Express ne détenait pas une lettre nouvellement arrivée, et tuer, du même coup, mon dernier espoir.

Argent en poche, passage au Tourism Office qui me conseille de réserver dès ce matin le billet sur le Taj Express pour demain.

A nouveau, rickshaw jusqu'à New Delhi Railway Station, où j'expérimente la surprenante efficience des services ferroviaires. Peut-être serais-je amené à déchanter ultérieurement. Dans la gare, des gens dorment un peu partout, se protégeant du bruit et de la poussière en se recroquevillant sous de vieilles couvertures, entourés de leurs paquetages qui forment autant de petits bastions retranchés.

Bureau du General Post Office : pas trop surpris de ne trouver aucun courrier à mon nom.
SOS, l'Europe ne répond plus…


National Museum : c'est le gros morceau

On l'atteint après avoir franchi Raj Path, merveilleuse perspective entre India Gate et les bâtiments parlementaires, traversant New Delhi de part en part et d'Ouest en Est, impressionnante comme une autoroute.
Que dire de ce musée, sinon qu'il est grand et qu'il fatigue autant les pieds que la tête ?
Les galeries maurya et shunga présentent de forts jolis fragments de sculptures, de très beaux bas-reliefs finement travaillés. Plus loin, on retrouve les terres cuites de l'art du Gandhara, des IIème à IIIème siècle après J.C.
Ensuite, galerie des bronzes, pléthoriques, parmi lesquels se détache nettement le Shiva Natesha, une œuvre du XIIème siècle, fabuleusement gracieux, s'inscrivant élégamment dans un cercle qui l'entoure et le porte.
Au premier étage, suivez le guide...Imposante collection de peintures indiennes de toutes les écoles successives dans lesquelles on se perd.
Collection temporaire pour commémorer le 1400ème anniversaire du départ de Mahomet de Mecca à Médina : fantastiques broderies, Corans illustrés de façon merveilleuse avec forces enluminures dorées, esquisses miniatures et prouesses scripturales dans ce que j'estime être le plus bel alphabet du monde. Parfois le script s'est appliqué à dessiner des feuilles ou d'autres motifs décoratifs en fonction de la répartition des syllabes. Quant aux miniatures perses exposées, elles comptent parmi les plus fines de ce musée.
Intéressante galerie rassemblant les pièces collectées par Sir Aurel Stein sur la route de la soie, partant d'Alexandrie et traversant le Turkestan chinois, de part et d'autre du Takla-Makan Desert.

Sans souci des unités de temps et de lieu, j'exécute mon petit défilé personnel et patriotique en pratiquant une glorieuse descente pédestre jusqu'à India Gate. Aucun rickshaw en vue.


Old Fort, Purana Qila, New Delhi

Indian International Trade Fair
(note : http://www.indiatradefair.com/)

Un peu à l'écart de Purana Qila, le gouvernement indien organise une grande exposition : l'Indian International Trade Fair.
Dans un gigantesque parc d'exposition, des stands présentent des produits typiques de chaque région, de chaque pays. Mais aussi d'autres pavillons, aussi passionnants par exemple que la défense nationale, l'énergie, les camions Tata ou les véhicules Escorts.
Le show des danses de l'Assam n'est pas des plus fascinants, même si les costumes sont plaisants, les rythmes changeants et syncopés, originaires de Sibsagar, une ville historique du coin.
Ensuite, je déambule dans les allées. Il m'est agréable de sentir cette foule qui m'entoure et me protège de ma solitude. Une exposition de ce type me ramène davantage dans mon pays que la masse houleuse de Chandni Chowk.
Aucun stand n'est vraiment passionnant en fait.
"Son of India" est une collection de photos sur Indira et Sanjay. Assez désertée, hormis les badauds qui s'agglutinent autour des photos du crash de l'avion et de la mère Gandhi, lunettes noires autour du cercueil filial.
Des peintures murales, plus naïves et plus laides que celles faites par la propagande communiste dans les pays de l'Est, illustrent le programme de Gandhi. "Moins d'enfants, plus de bonheur". Une famille malheureuse : la mère croule sous des enfants pleurants et affamés. Une famille moins nombreuse : deux enfants heureux et calmes.
La plaie de la dote : une fille se pend car elle n'avait pas d'argent pour se marier.
Dessins horribles, couleurs sales et vulgaires.
Stand Renault où, pour la première fois, je discute avec une jeune fille indienne, en français, originaire de Pondichery.
Stand de l'OLP, intéressant, petit, mais pris d'assaut, bombe idéologique de par son contenu révolutionnaire.


Les aventures de Krishna

Le plus intéressant : autour de la pièce d'eau, un spectacle de danses traditionnelles indiennes.
Krishna enfant qui dérobe le ghee, se fait gronder par sa mère et expérimente l'extra power. Ses amours dans la jungle quand il est plus âgé, qu'il fait comprendre à une jeune fille qu'il est dieu et en droit de les aimer toutes.
Sudama le mendiant, ancien condisciple de Krishna, lui lave les pieds avec ses propres larmes.
Un guru sur la droite fait le récitant, les danses suivent les variations rythmiques de la musique, beaux costumes et mimiques expressives et touchantes. Une partie du panthéon indien.

Retour en bus avec cet indien à l'accent incompréhensible qui ne m'a pas quitté depuis le stand pakistanais.
_____________________La carte de la journée_____________________

01 décembre 1981

J052 - Delhi : Hanuman Temple

Noël approche.
Plusieurs kilomètres de marche aujourd'hui encore.

Déception à l'American Express où j'espérais, crédule, une ou deux lettres de l'Europe.

A la Bank of America, j'ai apprécié l'air conditionné et le marbre aseptisé.
Je me repose dans ces endroits clairs et propres, sans odeurs mais pleins d'argent.


Miracle de la Carte Bleue

Pour télexer en France et obtenir confirmation de l'honorabilité de mon compte en banque, il leur suffit d'emporter mon petit rectangle plastifié. Dans l'arrière-salle, ils le torturent et celui-ci avoue tout, crachant ses informations sous forme de chiffres codifiés. Miracle, merveille du monde moderne.

Auparavant, j'étais descendu dans les entrailles à air conditionné du marché souterrain situé à côté de Parliament Street. On y tourne en rond, entre deux rangées de vitrines violemment éclairées au néon. De-ci, de-là, je me renseigne, complétant mon catalogue de prix, jamais sûr des business fructueux. Est-ce que je manque de feeling commercial ?

Au lance-pierre, j'avale un Chow Mien au prix exorbitant dans un snack de Janpath, pressé d'être à l'heure, à pied d'œuvre au Telegraph Office.
Hier, on m'avait annoncé qu'il fallait 3 heures pour obtenir la communication. Mais là, 30 minutes suffisent. Il n'y a personne à l'autre bout du fil. Ou plutôt si, la standardiste de Delhi, qui me dit dans un anglais sensuel qu'il me faudra rappeler dans 2 heures.

Pour tuer le temps, je vais me recueillir dans le temple d'Hanuman. Il est toujours fascinant d'assister à des dévotions religieuses intenses et riches de symboles, symboles qui ne font qu'éloigner les esprits du sens primitif. Quelques minutes de culte suffisent à mettre le dieu de son côté, plutôt que de tirer profit du moment pour tenter de se rapprocher un peu de lui.
Grand déploiement d'eau, de fleurs, de pâtisseries sucrées et de menue monnaie. Pas mal de dévotion et de respect. Geste un peu hystérique de certaines femmes au toucher du lingam de Shiva. Frisson délicieux, de crainte et d'excitation mêlées. N'est-ce pas une représentation qui parle à l'imagination ?


Le temple d'Hanuman
(note : il s'agit sans doute de Sri Hanuman Mandir Vatika sur Baba Kharak Singh Marg)

Situé à gauche en s’éloignant de Connaught Place par Parliament Street.

Un peu en retrait d’une petite place où trône une fontaine,
symbolisant la fusion amoureuse de deux êtres, dans une plastique moderne,
c’est une étrange construction,
amalgame de baraques en briques,
qui se fondent autour de la structure du temple.
Comme d’habitude,
les abords du temple sont signalés par une recrudescence de mendiants,
alignés, assis, au pied des murs alentours.
Plus près de l’entrée, concentration de boutiques,
profitant d’un bon achalandage,
vendant habits, lecture de main ou du "tout à une roupie".

Echoppes d’offrandes qui seront faites aux dieux :
colliers de fleurs oranges qui créent, amoncelées, des taches de couleur vive,
sucreries diverses, dont la moitié sera récupérée par des jeunes enfants, lorsque les fidèles sortiront du temple.
On se déchausse dehors,
confiant les précieux souliers à des indiens,
ayant trouvé là une nouvelle aubaine pour exercer un autre petit commerce,
une des mille et une prestations de service qu’on paye de même monnaie.
Pieds nus, on patauge quelques mètres dans la gadoue,
avant de gravir les marches de marbre blanc souillées.
Les gens se penchent,
s’agenouillent,
touchent d’un doigt le sol sacré,
avant de porter la main à leurs cheveux.
Comme au cinéma,
guidés par une rambarde,
les fidèles font la queue,
tenants fleurs et sucreries poisseuses.

Dans le temple, tous les dieux ou presque
sont représentés,
et leurs effigies de marbre protégées,
dans des niches, derrières de larges grilles.
Beaucoup de doré sur les sculptures,
de fleurs aussi,
et par terre un amas coloré
dans lequel se mélangent, pétales, piécettes et sucreries.
Il faut voir le manège des indiens pieux qui entrent un par un dans la petite salle aux parois métalliques finement travaillées.
Ils touchent d’un doigt révérencieux le chambranle de la porte, proposent leurs offrandes aux officiants présents qui règlent la circulation, prennent une partie des sucreries, quelques fleurs, puis rendent le reste à leurs propriétaires.
Avant de s’éloigner, caresses révérencieuses sur le sommet d’un lingam, écrasements avec application de quelques pâtes sucrées sur le front du taureau, autre symbole religieux de Shiva.

En fin de compte, écœurant tableau : fleurs que l’eau a pourries ou que l’air a séchées, pâtes agglutinées un peu partout sur les statues qui s’y prêtent, ou le méritent.
Sur le chemin de la sortie, des indiens quémandent la nourriture excédentaire que bien peu de fidèles songent à ramener chez eux.
Ils la recueillent dans ces feuilles cousues en guise de récipient, ou dans des sacs plastiques, avant de la receler aux marchands de l’extérieur qui la distribueront une nouvelle fois.
Au total, des centaines d’opérations, pour un chiffre d’affaires journalier de quelques roupies.


Second miracle technologique de la journée !

J'avais oublié que les hommes pouvaient mettre de grandes capacités au service d'autres hommes. J'ai D. au bout du fil. Sa voix est bien plus claire et distincte que toutes les communications locales avec M. Tout s'arrange au mieux, avec cette merveilleuse opportunité d'une prochaine rencontre à Bombay pendant cinq jours qui nous convient parfaitement à tous deux.

En rentrant, j'achète un livre de Gandhi et me fait taper par ce pauvre gars de Taïwan qui veut télégraphier pour qu'on lui envoie de l'argent. On lui a tout volé à Bénarès sous la menace d'un couteau et ça n'a pas l'air d'aller fort.

_____________________La carte de la journée_____________________

30 novembre 1981

J051 - Bazars à Delhi

Petites misères

Hier soir, une fois de plus, mon savon m'a échappé des mains, pendant ma douche. Il s'est tout naturellement engouffré, avec une facilité déconcertante, dans le trou des toilettes qui l'a absorbé goulûment. Et aujourd'hui, bien entendu, j'ai oublié d'en acheter un autre.
Vive les boules Quies ! Ma chambre donne sur le couloir où vocifèrent, la nuit durant, les indigènes. Du coup, j'ai dormi jusqu'à midi, récupérant de mes pérégrinations en bus et de mes kilomètres de marche d'hier.


Le grand fleuve humain

Hier New Delhi.
Aujourd'hui, j'ai donc décidé de prendre un bain de foule dans Chandni Chowk, que j'ai atteint bien tard, m'étant égaré comme d'habitude.

Passage par Sadar Bazar puis Naya Bazar.

Dans la rue, le spectacle est hallucinant.
Différents types de véhicules constituent autant de menaces potentielles qui vous frôlent par derrière.
Ici, piétons ou pas, tout le monde se déplace à gauche, sens normal de la circulation congestionnée : voitures Ambassador bien sûr ; Harley-Davidson au lent teuf-teuf, aménagées avec une plateforme arrière d'1 m2 qui peut transporter 10, 20 personnes ; rickshaws à moteur de scooter, jaunes et noirs, qui n'ont aucune puissance et un changement de vitesse à poignée ; rickshaws à pédales dont l'avant utilise le cadre d'un vieux vélo (les indiens ne rechignent pas à y monter en famille - un couple et quatre enfants tirés par une paire de mollets - ou bien à les utiliser comme carriole, transportant du bois, des pneus de tracteurs, n'importe quoi).
D'autres rickshaws trainent derrière eux une petite cage dans laquelle s'entassent des enfants, pliés en deux, boite exiguë aux barreaux carcéraux. On dirait, de taille réduite, les cages qui transportaient, les prisonniers en place de Grèves, il y a 200 ans, ou les chiens à la fourrière, il y en a 70.
Des carrioles, tirées par des animaux,. A cheval, que certains dirigent parfois debout, le fouet tournoyant, Ben-Hur de bazar. A vache, de ces grandes vaches à la haute croupe chevaline, avec une bosse de zébu et de longues cornes souvent peintes. Elles n'impressionnent pas, nonchalamment ruminantes et agenouillées sur les trottoirs, mais, debout à côté d'elles, on se rend compte de leur gigantisme.
Enfin, toutes sortes d'autres véhicules. Diable d'acier pesant, poussé par un gamin dans un bruit d'enfer. Véhicules d'eau réfrigérée du genre vendeur de sorbets. Temples à la gloire d'une divinité indienne. Et tout type de chargement impressionnant, posé sur deux roues, qu'un homme soutient par devant et qu'un autre pousse à l'arrière. Sans oublier les bicyclettes, scooters, et tous ceux qui défilent, croulant sous de lourdes charges posées sur la tête ou ficelées sur le dos.
Sur les trottoirs, difficile de marcher, tout le monde se retrouve donc sur la chaussée. Les vitrines des magasins ou les diverses échoppes créent autant de points de congestion, de rendez-vous ou de palabres, qu'il faut contourner.
Plus loin, un mendiant ou un vieillard qui n'avance qu'à petits pas ou pas du tout, une ou deux vaches qui ruminent tranquillement, des vendeurs de fruits, de cacahouètes, de journaux, des stands qui préparent des samossas, pakhoras, chappatis, sur quelques braises et un assemblage de briques, des gens qui dorment, qui pissent, de grosses crottes et de la boue...autant d'obstacles à éviter.
Alors, vigilant, on se jette dans le grand fleuve humain qui lentement s'écoule entre les deux berges du trottoir.

Chandni Chowk : la grande artère qui relie Fathepuri Masjid au Old Fort, passant devant la Municipal Corporation. Trop de circulation, même si le terre-plein central met un peu d'ordre dans le trafic.
J'ai préféré Amir Chand Marg, dont l'ancien nom est Nai Sarak, et le Chawri Bazar, plafonné sur quelques centaines de mètres par un filet de guirlandes clinquantes.

Toute l'après-midi, j'ai circulé parmi ce théâtre vivant. Fasciné mais incapable de prendre la moindre photo. Trop dangereux, puisqu'un moment d'inattention suffit pour se retrouver sous un véhicule. Trop futile aussi, car il faut la vivre pour l'apprécier, cette animation débordante.

Le soir, devant la porte de l'hôtel Three Stars Guest House, défilé d'un marié chevauchant un cheval brillamment caparaçonné, précédé d'une fanfare locale et accompagné de porteurs de flambeaux acétylène.

_____________________La carte de la journée_____________________

29 novembre 1981

J050 - Retour à Delhi

Nuit assez perturbée dans ma casemate en contreplaqué léger, aménagée comme une niche afin d'agrandir la capacité du Guest House. Les parois sont si fines qu'un seul faible coup de pied suffirait à faire descendre une cloison entière.

Dans la nuit des indiens sont arrivés, bruyants, mettant à quelques uns, dans la pièce contiguë, la même animation et le même vacarme que dans leurs bazars.
Tôt dans la matinée, ils se sont retirés progressivement, la dernière nuisance étant le bruit d'une voix de femme s'éloignant, accompagné par les pleurs d'un gamin. Dehors, le garçon de l'hôtel a allumé son beedie et peu après, dans ma chambre toujours close, je profitais de l'odeur de cette reconnaissable fumée.


Faits divers

Ce matin, omelette qu'arrose le tea-pot accompagné du journal : une rue Beatles inaugurée à Liverpool, de nombreux faits divers indiens.
5000 roupies pour la famille du mort, 1000 roupies au blessé dans cet attentat à la bombe à Karnal, mesure d'exception pour montrer la largesse du gouvernement.
Un peu de business afin d'alléger mon volumineux paquetage. Pour 20 roupies, me voilà débarrassé de mon tapis de sol bleu qui m'avait coûté si cher dans ce magasin parisien.


Rickshaw

C'est toujours gênant de payer la sueur d'un homme, surtout quand on a sous les yeux ces mollets qui s'efforcent de transporter notre graisse. On a envie d'aider, pas de sourire au peuple comme Versailles défila en carrosse.
Devant la gare, déjeuner d'un massala dossa avant d'embarquer dans un bus basse catégorie, fort convenable.


Trajet sans histoire

On croise dans la campagne un cercueil coloré, porté et suivi par une trentaine de personnes. Beaucoup de chiens écrasés aussi, dont un qui avait étalé son cerveau sur plusieurs mètres, teintant de rouge le buvard de la terre.
Placé derrière le conducteur, j'apprécie à sa juste valeur les menaces d'accidents qu'il provoque puis esquive au dernier moment. Sur les bas-côtés, plusieurs camions renversés.
Sur la route, un joli crash camion contre autobus : les centimètres avaient été calculés trop chichement. Du coup, on voit le fauteuil du conducteur sans avoir à ouvrir la porte et sur la chaussée, l'infrastructure en bois des véhicules TATA fait une exhibition de pièces détachées.
Nous sommes doublés par un mini-bus conduit par une blonde. 7 noms germaniques inscrits à l'arrière. Le rêve de partir ainsi avec des copains pour un grand voyage.


Delhi

Après marchandage, le pousse-pousse passe de 15 roupies à 5 roupies.
Installation au Three Stars Guest House, avec ses petites chambres équipées de toilettes-douches. Il faudra trouver mieux quand même, surtout que le prix est déjà passé de 35 à 30 roupies. Et ils disent que tout est plein !

Destination la Poste, pour essayer de joindre D. demain matin.
Ayant rejoint Connaught Place, j'emprunte Hanuman Road, bordé d'hôtels particuliers dont le luxe est d'autant plus frappant qu'il contraste avec la misère toute proche. Ici, dès les premiers mètres, c'est résolument résidentiel et à l'écart de l'animation plébéienne.


Un accueil sikh
(note : temple de Gurudwara Bangla Sahib)

La nuit tombe.
Je me dirige vers un bâtiment, guidé par la retransmission de haut-parleurs. L'extérieur fait assez toc, un éclairage au néon sur le fronton donne aux inscriptions un aspect publicitaire. Les différentes ouvertures sont éclairées de couleurs variées, contribuant à créer une lumière de fête foraine.
J'entre quand même, vu l'animation et le mouvement qui règnent sur le parvis, après avoir troqué mes chaussures contre un jeton de laiton numéroté.
Pas besoin d'être très observateur pour se rendre compte qu'on est chez les sikhs. Je déploie donc ma capuche de nylon en guise de turban et m'en coiffe la calebasse.
Arrivée dans la salle, après avoir gravi quelques marches. Face à moi, un baldaquin doré sous lequel s'entassent les offrandes de fleurs qu'un homme est chargé de regrouper. Deux officiants sur les côtés créent l'animation devant les livres et les micros, qui en sermonnant, qui en psalmodiant.
Le devant de la scène est barré par un coffre métallique percé d'une fente très large guidant en son sein toutes les offrandes monétaires. Autour, des sikhs enrubannés, des femmes et des sikhs non enrubannés.
En sortant, distribution à pleine main d'une pâte d'amande sucrée et parfumée, complétée un peu plus loin par un caramel bengali pas mauvais non plus. C'est offert systématiquement, comme si c'était leur devoir naturel, et ça fait un drôle d'effet sympa de se voir donner à manger, comme ça, sans le moindre souci de contrepartie.
Dehors, autour d'un bassin, quatre ou cinq sikhs versent de l'eau sur les mains salies par la pâte sucrée.
Le tour est bien organisé, on se retrouve à nouveau sur le terre-plein, avec une belle et calme pièce d'eau sur la gauche. Il doit y faire bon dans la journée, peut être s'y baignent-ils ?

Guidé par un écriteau promettant un musée concernant un des Singhs, j'emprunte des escaliers puis parviens dans une salle dont la voute aux alvéoles carrées est soutenue par de grands piliers. Il y fait sombre. Le sol est découpé de bandes de tapis parallèles sur lesquelles siègent des fidèles en tailleur.
Je m'approche, pour regarder manger les gens qui se font servir.
Un sikh vient m'interrompre en me demandant si je veux manger, d'une façon si dégagée (d'intérêt, de colère ou d'ennui...) que je suis touché une nouvelle fois. Je dis oui, trop content d'accepter. On fait la queue à part, en attendant la fin du service précédent. Notre tour venu, nous nous installons.
Plateau en alu léger, deux chapatis, dal à la louche et bénédicité ou prière avant de commencer. Il y a même du rab !


Luxe et beaux endroits

Retour vers Connaught Place par Janpath. Visite de l'Imperial Hotel.
Attrait du luxe et des beaux endroits, attirance et retrouvailles, mais pas de nostalgie. Tout cela est si accessible en définitive. Plaisir des yeux, excitation aussi d'être comme je suis, parmi cette société friquée, sale, mal rasé, peu habillé, mais cependant européen. Peut-être une gêne, mais jamais un paria.
Dans les boutiques, bijoux, peintures, fringues, de toute beauté et pas démesurément chères. Cela donne à réfléchir sur mes diverses tentations de business.
_____________________La carte de la journée_____________________

16 octobre 1981

J006 - Bus Delhi - Jammu : traversée de l'Haryana et du Punjab

Le chauffeur de rickshaw qui sommeillait en face de l'ambassade du Népal se réveilla en geignant tandis que je lui secouais l'épaule. Du coup, il me fit un tarif prohibitif que j'acceptais en connaissance de cause : 5 roupies.
Arrivée un quart d'heure en retard sur l'horaire !
Le bus ne partit cependant qu'une heure plus tard, repassant devant Dalmiya House maintenant réveillée.

Premier trajet en Inde par la route

Le baptême est surprenant : de la même façon que rickshaw, scooters et vélos se frayent un passage dans la masse humaine des bazars, les véhicules s'efforcent de suivre la route tout en évitant les obstacles qui la jalonnent.
Ces obstacles sont de toutes sortes, mais c'est surtout de nuit qu'on mesure l'ampleur des frayeurs auxquelles on peut s'attendre.
Les travaux de cantonnement placent de grands bidons de fuel en plein milieu de la route pour protéger quelques aménagements. Peints avec du blanc qui s'est sali depuis, ces obstacles se révèlent si tard que seul l'écart violent est salutaire.
Les véhicules vont dix fois plus vite et sont cent fois plus chargés qu'en ville, la route des champs fait donc parfois figure de calvaire.
A la sortie de Delhi, un poids lourd a versé, mettant à bas d'énormes troncs d'arbre qui bloquent une partie de la route. Ailleurs, un camion est immobilisé, restant en équilibre grâce à un cric qui remplace l'essieu manquant. Plus loin, deux camions n'ont pas réussi à s'éviter. A un autre endroit, dans un fossé, une dizaine d'indiens tournent, avides, autour de la marchandise éparpillée, tombée d'un poids lourd qui repose sur le toit, les quatre roues en l'air, tel un gigantesque insecte renversé.
Du coup, le gouvernement ne lésine pas sur les messages de sécurité routière, et les panneaux prennent souvent des tournures plutôt comiques : "speed thrills but kills", "security first, lucky afterwards", "accident begins where security ends"... Autant de formules mettant en évidence le caractère aléatoire des transports routiers en Inde.
Malgré les slogans, les conducteurs indiens misent d'abord sur la chance et la bonne fortune, ensuite sur la sécurité. Ainsi, comme dans bien des pays où la circulation tient du hasard, les camions rutilent de chromes et d'illuminations diverses, et portent d'amusantes inscriptions calligraphiées, allant du "good luck" au "best driver". Des guirlandes multicolores entourent le pare-brise et chaque camion porte de façon héraldique une icône sur son toit. Cette dernière s'éclaire, une fois le soleil couché.
Pour mettre toutes les chances de leur côté, les indiens multiplient le nombre de sens en éveil lors de la conduite : ils pilotent en grande partie à l'oreille, grâce à l'usage abusif du klaxon.


Haryana - Penjab - Jammu et Cachemire

Bien d'autres choses surprenantes dans cette traversée de l'Haryana.
Dans un climat de dénuement fait de pauvreté et de poussière, sous un soleil de plomb, on croise soudain une indienne, dans un habit de lumière parsemé de paillettes dorées qui lui donne l'air d'une idole. Cette divinité trône sur une pauvre charrette tirée par un bœuf malade que guide un enfant en guenilles. Et notre bus s'éloigne avant que l'on ait pu comprendre ce monde bizarre entrevu un instant.
Rencontres parfois plus sinistres sur cette Highway n°1 : des vautours, plus d'une cinquantaine, groupés autour de cadavres et auxquels viennent se mêler des chiens charognards.

Nous dépassons Ambala, laissant sur notre droite la route qui mène à Chandigarh, Simla et à la vallée de Kulu. Le nombre de sikhs semble augmenter au fur et à mesure que l'on se rapproche de Amritsar.

Même de la route, même à la vitesse où nous roulons, certaines scènes de misère ne nous sont pas épargnées.
Les cantonnements, forts nombreux en raison du délabrement des routes et de la visible lenteur des travaux, sont autant d'endroits sordides mêlant femmes, hommes et enfants dans la poussière et les gaz d'échappement. Des tentes en toile, patchworks de fortune, sont alignées le long de la route. C'est là que dorment ces gens qui vivent plusieurs mois à un mètre du bitume, sur un chantier de 100 mètres de cailloux. Comme à Delhi, les femmes travaillent ici à de rudes tâches manuelles. Dans des corbeilles d'osier, elles chargent des cailloux qu'elles iront déposer plus loin, courbées en deux par le fardeau qui repose sur leur crâne. Pas loin d'elles, de petits bébés recroquevillés le long de la route, tellement sales qu'on dirait des corps carbonisés. Au second plan, sous la végétation des arbres qui bordent la route, les enfants plus âgés, vêtus de loques qui tiennent par miracle, jouent ou encadrent des animaux : vaches, brebis,...
Soudain, le car doit freiner, une fois de plus. Sur la route à deux voies, une charrette tirée par un bœuf nous bloque, tandis que de bruyants camions nous croisent venant sur l'autre file.

Nous entrons dans l'Etat du Pendjab. La végétation a peu changé, les plaines s'étendent seulement moins loin, limitées par des zones boisées de plus en plus nombreuses.
La nuit tombe tandis que nous traversons des villages rustiques où la production principale semble, de la route, être la bouse de vache, modelée et séchée, et qui sert de matériau de combustion. Des centaines de galettes ocre s'entassent ainsi méthodiquement devant chaque maison.

Frontière Punjab - Jammu et Cachemire

Le bus s'arrête encore une fois.
Nous descendons du car, il règne un remue-ménage étrange, balayé par le faisceau des phares de camions qui attendent, les uns derrière les autres, l'autorisation d'entrer dans l'Etat suivant.
La lune s'est levée. A l'horizon, on devine le changement de relief.
Le car rencontre des déclivités, tandis que se profilent au loin des chaînes de petites collines. Enfin, après l'ascension d'une bonne pente, nous entrons dans Jammu, petit village sans intérêt.
Nous y sommes logés dans un hôtel délabré, muni d'une cour intérieure mais sans eau dans les toilettes des chambres. L'électricité qui nous restait encore sera supprimée une heure plus tard en raison d'une panne générale dans la ville.

_____________________La carte de la journée_____________________

15 octobre 1981

J005 - Delhi : encore malade, prêt pour le Cachemire



La nuit s'est écoulée, ponctuée de borborygmes.
Mon inquiétude grandit car mon état ne s'améliore pas et j'aimerais être en forme pour mon voyage en car.
La matinée se passe au lit dans une semi somnolence, en alternant les prises de médicaments.

Vers 14 h, j'émerge pour aller en ville, mon cauchemar avec son bruit et sa chaleur. Parviendrais-je à tenir dans l'enfer urbain ?

Mauvaises nouvelles pour la carte bleue : elle ne permet de retirer que 150 $ tous les quinze jours et seulement dans les villes de Delhi, Bombay, Madras et Calcutta.

En sortant de la banque, je me dirige vers le restaurant Kwality, afin de manger occidental.
Le mixed grill que l'on m'apporte contient malheureusement des saucisses, du foie, du lard, des boulettes de viandes noyées dans une sauce indigeste...Exactement l'inverse de la bonne viande saine que je recherchais !

Je me sens mal. Mes préoccupations ne s'élèvent pas au-dessus de l'estomac. J'en ai marre, j'ai envie de respirer un peu, de prendre de la hauteur.
Chaque fois que je change de position ou bouge brusquement la tête, un grand coup de poing m'ébranle le crâne.

Voilà, maintenant mes bagages sont prêts. Souhaitons un bon petit somme, et en voiture pour le Cachemire.
J'aimerais bien y voir D. qui m'apportera une sensation de civilisation. Espérons que cela puisse se combiner, car ni elle ni les cols pour le Ladakh ne m'attendront.