16 octobre 1981

J006 - Bus Delhi - Jammu : traversée de l'Haryana et du Punjab

Le chauffeur de rickshaw qui sommeillait en face de l'ambassade du Népal se réveilla en geignant tandis que je lui secouais l'épaule. Du coup, il me fit un tarif prohibitif que j'acceptais en connaissance de cause : 5 roupies.
Arrivée un quart d'heure en retard sur l'horaire !
Le bus ne partit cependant qu'une heure plus tard, repassant devant Dalmiya House maintenant réveillée.

Premier trajet en Inde par la route

Le baptême est surprenant : de la même façon que rickshaw, scooters et vélos se frayent un passage dans la masse humaine des bazars, les véhicules s'efforcent de suivre la route tout en évitant les obstacles qui la jalonnent.
Ces obstacles sont de toutes sortes, mais c'est surtout de nuit qu'on mesure l'ampleur des frayeurs auxquelles on peut s'attendre.
Les travaux de cantonnement placent de grands bidons de fuel en plein milieu de la route pour protéger quelques aménagements. Peints avec du blanc qui s'est sali depuis, ces obstacles se révèlent si tard que seul l'écart violent est salutaire.
Les véhicules vont dix fois plus vite et sont cent fois plus chargés qu'en ville, la route des champs fait donc parfois figure de calvaire.
A la sortie de Delhi, un poids lourd a versé, mettant à bas d'énormes troncs d'arbre qui bloquent une partie de la route. Ailleurs, un camion est immobilisé, restant en équilibre grâce à un cric qui remplace l'essieu manquant. Plus loin, deux camions n'ont pas réussi à s'éviter. A un autre endroit, dans un fossé, une dizaine d'indiens tournent, avides, autour de la marchandise éparpillée, tombée d'un poids lourd qui repose sur le toit, les quatre roues en l'air, tel un gigantesque insecte renversé.
Du coup, le gouvernement ne lésine pas sur les messages de sécurité routière, et les panneaux prennent souvent des tournures plutôt comiques : "speed thrills but kills", "security first, lucky afterwards", "accident begins where security ends"... Autant de formules mettant en évidence le caractère aléatoire des transports routiers en Inde.
Malgré les slogans, les conducteurs indiens misent d'abord sur la chance et la bonne fortune, ensuite sur la sécurité. Ainsi, comme dans bien des pays où la circulation tient du hasard, les camions rutilent de chromes et d'illuminations diverses, et portent d'amusantes inscriptions calligraphiées, allant du "good luck" au "best driver". Des guirlandes multicolores entourent le pare-brise et chaque camion porte de façon héraldique une icône sur son toit. Cette dernière s'éclaire, une fois le soleil couché.
Pour mettre toutes les chances de leur côté, les indiens multiplient le nombre de sens en éveil lors de la conduite : ils pilotent en grande partie à l'oreille, grâce à l'usage abusif du klaxon.


Haryana - Penjab - Jammu et Cachemire

Bien d'autres choses surprenantes dans cette traversée de l'Haryana.
Dans un climat de dénuement fait de pauvreté et de poussière, sous un soleil de plomb, on croise soudain une indienne, dans un habit de lumière parsemé de paillettes dorées qui lui donne l'air d'une idole. Cette divinité trône sur une pauvre charrette tirée par un bœuf malade que guide un enfant en guenilles. Et notre bus s'éloigne avant que l'on ait pu comprendre ce monde bizarre entrevu un instant.
Rencontres parfois plus sinistres sur cette Highway n°1 : des vautours, plus d'une cinquantaine, groupés autour de cadavres et auxquels viennent se mêler des chiens charognards.

Nous dépassons Ambala, laissant sur notre droite la route qui mène à Chandigarh, Simla et à la vallée de Kulu. Le nombre de sikhs semble augmenter au fur et à mesure que l'on se rapproche de Amritsar.

Même de la route, même à la vitesse où nous roulons, certaines scènes de misère ne nous sont pas épargnées.
Les cantonnements, forts nombreux en raison du délabrement des routes et de la visible lenteur des travaux, sont autant d'endroits sordides mêlant femmes, hommes et enfants dans la poussière et les gaz d'échappement. Des tentes en toile, patchworks de fortune, sont alignées le long de la route. C'est là que dorment ces gens qui vivent plusieurs mois à un mètre du bitume, sur un chantier de 100 mètres de cailloux. Comme à Delhi, les femmes travaillent ici à de rudes tâches manuelles. Dans des corbeilles d'osier, elles chargent des cailloux qu'elles iront déposer plus loin, courbées en deux par le fardeau qui repose sur leur crâne. Pas loin d'elles, de petits bébés recroquevillés le long de la route, tellement sales qu'on dirait des corps carbonisés. Au second plan, sous la végétation des arbres qui bordent la route, les enfants plus âgés, vêtus de loques qui tiennent par miracle, jouent ou encadrent des animaux : vaches, brebis,...
Soudain, le car doit freiner, une fois de plus. Sur la route à deux voies, une charrette tirée par un bœuf nous bloque, tandis que de bruyants camions nous croisent venant sur l'autre file.

Nous entrons dans l'Etat du Pendjab. La végétation a peu changé, les plaines s'étendent seulement moins loin, limitées par des zones boisées de plus en plus nombreuses.
La nuit tombe tandis que nous traversons des villages rustiques où la production principale semble, de la route, être la bouse de vache, modelée et séchée, et qui sert de matériau de combustion. Des centaines de galettes ocre s'entassent ainsi méthodiquement devant chaque maison.

Frontière Punjab - Jammu et Cachemire

Le bus s'arrête encore une fois.
Nous descendons du car, il règne un remue-ménage étrange, balayé par le faisceau des phares de camions qui attendent, les uns derrière les autres, l'autorisation d'entrer dans l'Etat suivant.
La lune s'est levée. A l'horizon, on devine le changement de relief.
Le car rencontre des déclivités, tandis que se profilent au loin des chaînes de petites collines. Enfin, après l'ascension d'une bonne pente, nous entrons dans Jammu, petit village sans intérêt.
Nous y sommes logés dans un hôtel délabré, muni d'une cour intérieure mais sans eau dans les toilettes des chambres. L'électricité qui nous restait encore sera supprimée une heure plus tard en raison d'une panne générale dans la ville.

_____________________La carte de la journée_____________________

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