28 janvier 1982

J110 - Goa, jour 28 : la situation m’échappe


Voilà le moment où jamais de tenir ce journal. Voilà bien la seule chose que je puisse tenir, tout le reste me glissant entre les mains, la situation m’échappe.

Dans ma chambre, sclérosé par plusieurs jours de quasi solitude et mu par une seule préoccupation, la fièvre de créer : poésie et surtout aquarelle.

Seule sortie, la moto jusqu’à Panjim pour rendre visite au docteur.

Hier soir, l’aquarelle m’a échappé, voulant comme un balourd colorier les rigoureuses perspectives de ma chambre qu’avait agencé sur le papier un esprit par trop rationnel.
Du coup, je récidive aujourd’hui en coloriant le sketch du jardin public, et pressens le bide dès la première couleur.
C’est vraiment fascinant, je tourne autour du papier, me piquant et me frustrant tel un chien autour d’un hérisson. Je crois comprendre le feu sacré qui anime le peintre en pleine action, mais ma fébrilité ne dure que quelques instants, les couleurs s’enfuient et me voilà déconcentré, froid et comme exclu de la transe créatrice. Sans feeling, comme devant un instrument qu’on ne sent pas, qu’on ne peut pas faire vivre.
Mes sujets sont mauvais, c’est sûr. Refusant de m’exposer au ridicule de sortir peindre au soleil, ma démarche de graphiste pointilleux est viciée et l’apprentissage dans un livre aussi absurde que les gammes pour comprendre la musique.
A. me surprend dans mon piteux échec.
Nous sortons de cette ambiance étouffante. L’air frais, la mer et ce vaste espace sont rapidement réconfortants. La conversation d’A. est toujours aussi agréable, et ses propos pleins de sens et aussi pleins d’elle-même.
Peu à peu, me revoilà moi-même, comme si j’avais manqué d’air pendant des heures.
A. m’a donc calmé. Ses gestes sont pleins de douceur et d’affection, d’une affection qui seule amène la confiance. Je suis bien en sa présence.

Et le présent dans tout ça ? Le présent c’est mon foie !


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